• Je n'avais pas compris à quoi le petit homme se référait en disant: "elle est comme nous", ni ce que signifiaient son geste et ses paroles quand il m'a fait  agenouiller devant lui. Au retour de mon voyage, et reprise par mes activités, je n'y pensais plus.

    Quelques semaines plus tard, par un beau dimanche d'octobre, je me promenais à la Place du Tertre et sur les marches du Sacré-Coeur de Paris. Deux gitanes, la mère et la fille âgée de 16ans, m'ont abordée pour me lire les lignes de la main. J'ai refusé, mais elles ont insisté et m'ont suivie. J'ai cédé et j'ai tendu la main à la jeune fille que sa mère poussait en avant. Elle a regardé dans ma main un moment sans rien dire, puis elle s'est tournée vers sa mère en lui parlant avec agitation dans une langue étrangère. La mère a haussé les épaules et a dû lui dire de me parler directement:

    - Tu es une gitane ? m'a-t-elle demandé.

    - non!

    - Alors tu as été élevée par les gitans!

    - non plus!

    - Mais tu as un lien avec les gitans! Je le vois!

    Elle semblait étonnée et embarrassée, non parce qu'elle s'était trompée, mais parce qu'elle était sûre de ce qu'elle disait sans savoir comment me le dire. Je remontais dans ma mémoire, à mes origines et mes souvenirs d'enfance sans pouvoir lui répondre par l'affirmative.

    - Tu mens! me dit-elle, à la fois en colère et peinée, pourquoi tu renies les tiens? Tu as honte de nous? Ce n'est pas bien de renier ta famille!

    Elle commençait à se fâcher vraiment, mais sa mère lui disait de se calmer. Elle se sont disputées toutes les deux à mon sujet, la petite montrant ma main à sa mère, elle criait:

    -Elle est comme nous, maman! Regarde dans sa main, elle a la marque Mais pourquoi elle ment?

    Je regardais la mère en lui faisant une mimique qui exprimait que je ne comprenais rien, et je ne pensais pas à mon voyage en Hongrie, car je remontais trop loin dans ma mémoire. La mère voulait s'en aller et entraînait sa fille avec elle, mais la jeune fille ne voulait pas partir. Elle insistait:

    - je le vois dans ta main! Mais pourquoi tu ne veux pas dire que tu es gitane?

    Elle en avait les larmes aux yeux! En essayant de la rassurer, je lui ai dit en souriant:

    - Parce que je ne le suis pas, du moins pas à ma connaissance, mais je n'ai pas connu mon père, il est parti de la maison quand j'avais deux ans pour vivre avec une autre femme! c'est peut-être en rapport avec lui? je n'en sais rien, mais tu t'es peut-être trompée?

    - Non! tu as la marque des gitans dans ta main! J'en suis sûre!

    Je n'ai pas eu l'idée de lui demander quelle était cette marque, et je ne l'ai jamais su, j'étais trop ennuyée de lui faire de la peine sans le vouloir, ! En s'éloignant, la petite pleurait encore en se retournant pour me regarder, mais elle n'était plus en colère, car elle avait compris que je l'ignorais, puisque je lui avais dit que j'ignorais tout de mon père, ce qui n'était pas tout-à-fait vrai, car j'étais certaine qu'il n'était pas gitan, mais je le lui laissais supposer pour la calmer.

    Ce n'est que plus tard, chez moi, en y repensant, que je fis le lien avec les gitans de Hongrie. Je m'étais trouvée en face d'une gitane qui aurait pu me donner des réponses et je l'avais manquée!

    Le lendemain, je rencontrai, dans la rue, un ami que je connaissais encore assez peu. Je sortais de chez l'unique libraire de la petite ville de Seine et Marne où j'habitais. Je venais d'acheter les deux ou trois livres qu'il y avait dans le magasin, sur la chiromancie. En montrant les livres à mon ami, je lui ai raconté ma rencontre avec les gitanes à Paris et mon intention de voir si je comprenais quelque chose dans ce domaine, pour savoir si j'étais vraiment comme elle. Il tendit aussitôt la main vers moi, et m'a dit:

    - Essaie, on verra!

     J'ai ri, et je lui ai dit que je voulais d'abord lire mes livres avant d'essayer, mais il insista.

    - Bon! lui dis-je en riant, je jette un coup d’œil mais je ne garantis rien!

    C'était la première fois que je tentais de lire dans une main, je connaissais rien d'autre que le nom des trois lignes principales: la ligne de vie, la ligne de tête, et la ligne de cœur, mais je n'avais jamais étudié leur signification. Je regardais la paume de sa main sans conviction, mais aussitôt, je m'entendis lui dire comme si ce n'était pas moi qui parlais:

    - Tu vas avoir une relation amoureuse avec un femme que tu as rencontrée récemment. Tu vas l'aimer énormément, mais quand tu t'en rendras compte, il sera trop tard, car elle sera partie très loin...

    Je restai un moment silencieuse avec l'impression d'avoir changé de réalité, d'entrer dans un autre monde où le temps n'était plus linéaire, où il n'y avait plus de passé, de présent ni de futur, il y avait juste un moment de vie devant mes yeux. J'étais comme stupéfiée, statufiée, et dans un ailleurs que j'avais entrevu en ouvrant une porte invisible.

    Mon ami n'était pas convaincu! Il a haussé les épaules en disant

    - ça m'étonnerait!

    Mais j'étais encore "ailleurs" et j'ai entendu dans ma tête, comme une pensée qui survolait la mienne : "...et cette femme, c'est toi!", et j'ai répété, presque malgré moi:

    - et cette femme, c'est moi!

    Il a ri et m'a dit avec ironie:

    - Tu prends tes désirs pour des réalités!

    J'ai su plus tard qu'il s'était promis de ne plus vivre avec une autre femme, car, après plusieurs déceptions amoureuses, il n'y croyait plus. Mais ça s'est passé comme je l'avais dit: après une relation amoureuse chaotique pendant trois ans, j'ai obtenu ma mutation en Gironde, au moment où il se décidait unilatéralement à vivre avec moi, et quand il me l'a dit, c'était trop tard, car j'avais accepté ma mutation!

    Il n'y avait rien dans les livres que j'avais achetés sur la chiromancie, qui m'aurait permis de voir notre avenir commun, ni l'impasse dans laquelle on allait s’engouffrer. Mais en le vivant, on ne se souvenait plus, ni l'un ni l'autre, de ma prédiction.


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