•  Malgré la révélation de mon "don", je restais sceptique quant à la vie propre de mon âme et à sa survie. Au fil du temps, j'étais devenue plutôt déiste que croyante, et  méfiante par rapport à toutes les religions, trop souvent responsables, au cours de l'histoire, de conflits, de massacres, de guerres, mais aussi de domination, d'esclavagisme et de manipulation mentale : j'en avais subi le poids presque toute mon enfance et j'avais encore du ressentiment pour les sacrifices imposés, les brimades et les privations, ainsi que les longues heures de prières, les offices, les manifestations religieuses de toutes sortes, les sermons fielleux et interminables des grands-messes du dimanche matin... etc... je m'étais jurée en partant, de ne plus remettre les pieds dans une église.

    En conformité avec "l'esprit du temps" j'attribuais à une action biochimique de mon cerveau, tout ce qui se passait dans ma tête, je m'efforçais de rester rationnelle et de garder un esprit critique et scientifique.

    " Les penseurs et les savants vissent l'esprit dans une dépendance totale de la matière et des causes matérielles...Rien n'interdit à la spéculation intellectuelle de voir dans la psyché, un phénomène biochimique  complexe et de la ramener ainsi en dernière analyse, à un jeu d'électrons ou au contraire de décréter vie spirituelle l'apparente absence de règle qui règne au centre de l'atome...

    La métaphysique de l'esprit a dû, au cours du XIXè siècle, céder le pas à une métaphysique de la matière... désormais tout l'au-delà prend place ici-bas: le fondement des choses, l'assignation des buts, les significations dernières, ne doivent pas dépasser les frontières empiriques. A en croire la raison naïve, toute l'intériorité obscure est devenu extériorité visible, et la valeur n'obéit plus qu'au critère du prétendu fait...

    Il est vrai que personne ne peut être persuadé, sans en avoir fait l'expérience, de l'existence, dans l'homme, d'une activité psychique indépendante s'exerçant en marge de la conscience." C.G.Jung

     Au mois d'août de l'année suivante, j'ai appris la mort accidentelle d'Henri, le frère de la religieuse qui m'avait élevée. Il était prêtre et curé d'un village de la Drôme. A quinze ans j'étais amoureuse de lui, car il avait été le seul à me manifester de l'affection, quelque peu ambigüe, en me prenant dans ses bras dans les endroits où on ne pouvait pas nous voir. Avec sa 2CV, il me promenait à travers l'Ardèche, pendant mon année de seconde que j'avais passée au couvent de la maison-mère des religieuses, et il m'emmenait parfois au cinéma, ce qui était exceptionnel pour moi!

    Il est difficile de décrire les sentiments que j'éprouvais en apprenant cette nouvelle, ceux que j'avais éprouvés pour lui , j'y avais renoncé dans le passé, et sa mort ne m'avait rien ôté de plus que ce que j'avais perdu en le quittant, au gré des décisions que la soeur prenait pour moi sans me demander mon avis.

    Ma première réaction fut de rechercher mon missel de communion, et de chanter pour lui, tous les chants que j'avais si souvent chantés dans l'église, et surtout la messe des morts: il n'y avait pas eu un seul enterrement dans le village où se situait la pension, sans que la soeur ne m'y envoie la chanter depuis le "Kyrie" jusqu'à l'interminable "Libera me" pendant lequel les gens défilaient autour du cercueil en déposant leur obole.

    Mes filles qui jouaient dehors, entendaient ces cantiques pour la première fois. Elles vinrent s'asseoir près de moi, en disant :

    - que c'est beau maman, continue!

    Quand j'ai refermé le missel, je me disais avec colère et regrets, qu'il avait vécu et qu'il était mort pour rien, et l'ironie du sort c'est qu'il ne pouvait s'en rendre compte maintenant qu'il était mort!

    La nuit suivante, je me réveillai brusquement vers deux heures du matin, avec l'impression qu'il y avait quelqu'un dans ma chambre. J'allumai la lumière, mais il n'y avait personne : j'avais dû rêver! Plusieurs nuits de suite, je me réveillai ainsi à la même heure, avec la même impression d'une présence. Je soupçonnais que c'était la soeur qui venait me parler, car je la voyais encore souvent dans mes rêves et parfois je me réveillais pendant qu'elle me faisait réciter des prières, d'autres fois, je la voyais assise sur mon lit. Je me rassurais toujours en me disant que ce n'était qu'un rêve, mais je la chassais en lui disant "va-t'en démon"!

    J'oscillais sans cesse entre deux réalités contradictoires. Je ne pouvais nier tout-à-fait ce que je percevais, mais je me refusais obstinément à croire que la soeur puisse être réellement là à "diriger" encore ma vie à mon insu, je préférais croire que mon cerveau était dérangé et qu'il me suffisait de la chasser de mon esprit en la rayant d'un trait de plume, comme si elle n'avait jamais existé!

    Une nuit, je finis par me fâcher:

    - Mais qu'est-ce que vous me voulez à la fin! vous n'êtes qu'un démon ! c'est vous qui me le disiez, laissez-moi tranquille! Je ne veux plus vous voir ni vous entendre! Vous m'avez fait assez de mal quand vous étiez vivante, alors maintenant que vous êtes morte, restez où vous êtes! De toute façon vous n'êtes qu'une production de mon cerveau que vous avez traumatisé, vous n'existez pas!

    Je l'ai entendue dire:

    - Parle-lui, toi! tu vois bien qu'elle ne veut pas m'écouter!

    Je ne savais pas à qui elle parlait et je ne voulais pas le savoir, "je m'en fichais" parce que je la rejetais autant que je la détestais. Quand elle avait appris que j'avais "des visions", j'avais senti sa dangereuse  détermination à m'y faire renoncer par tous les moyens. Elle avait fait peser sur mon esprit une menace pire que la mort, en m'ayant persuadée que j'étais sous l'emprise du diable et elle avait formaté mon esprit à rejeter mes perceptions du monde invisible, en me  plongeant dans la terreur pendant toute mon enfance. Et maintenant qu'elle était morte, elle voulait se permettre de me prouver son existence!!! De quel droit venait-elle encore torturer mon esprit? J'étais furieuse contre elle!

    Je me recouchai en pensant que tout ça était complètement absurde, et en me demandant comment faire sortir cette bonne-soeur de ma tête une fois pour toutes!

    J'essayais de me rendormir quand je fus prise d'un terrible tremblement avec l'impression de ne plus pouvoir bouger, et la sensation d'une forte emprise au niveau de la nuque, mais je trouvais indispensable de lutter contre une force qui semblait s'emparer de moi et j'en éprouvai une véritable peur panique.

    Tout d'un coup, je me vis transportée dans un autre décor, qui ressemblait au dortoir de la pension. La pièce était vide, mais je voyais les petits lits alignés par deux rangées face à face. Je me "voyais" debout devant la porte de la chambre que la soeur occupait autrefois. La porte grande ouverte, laissait pénétrer un large rayon de lumière dans la pénombre de la pièce où je me trouvais. Une silhouette, que je reconnus aussitôt, apparut dans l'encadrement: c'était celle d'Henri. Il s'avançait doucement vers moi et je distinguais peu à peu son visage et son sourire.

    Je luttais pour sortir de ce "rêve" dans lequel j'étais plongée tout en étant réveillée. Je me sentais secouée par un  tremblement de plus en plus fort, mais je ne pouvais avoir aucune emprise sur mon corps qui restait inerte. Henri avançait doucement vers moi en souriant. Malgré la difficulté et les malaises qui persistaient, je rouvris les paupières et je me retrouvai dans ma chambre. C'est alors que je vis apparaître au pied de mon lit, une sorte de nuage blanc qui prenait forme humaine, et j'entendis une voix grave, à peine articulée, qui me disait:

    - c'est moi! Henri!

    J'étais terrorisée. Je lui ai crié mentalement:

    - Allez-vous en ! j'ai trop peur!

    La vision s'évanouit aussitôt et je ne ressentis plus aucun malaise. Je supposais que j'avais été plongée dans une  transe par l'esprit d'Henri. Mais je refusais encore d'admettre cette réalité.

    "Les représentations spirituelles générales sont un élément constitutif indispensable à la vie psychique : elles se retrouvent chez tous les peuples jouissant d'une conscience quelque peu déliée. C'est pourquoi leur absence partielle ou même leur négation occasionnelle chez les peuples civilisés doivent être considérées comme un signe de dégénérescence."  C.G.Jung 


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